Des patates douces

Publié le par petit filope

Après juillet 1962, l'exode des Pieds-Noirs, plusieurs familles viennent trouver refuge dans des provinces où ils posèrent bagages et blessures, lassés et épuisés par ce long voyage, physiquement et surtout moralement, ayant laissés, pour plupart, biens et souvenirs, leur pays déchiré par tant de haine.

 Certains n'y survécurent pas, mais pour d'autres, il fallut se raccrocher à la vie, relever leurs manches et reconstruire un semblant de dignité en louant leurs sueurs à des tâches parfois peu ragoûtantes en vivant dans d'étroits logements à faibles loyers, le plus souvent, c'était dans des ports de commerce, lieux mêmes de leur débarquement, qu'ils s'acharnèrent avec leurs tripes à apprendre le métier de la pêche où ils puisèrent leurs ressources.

Petit à petit, la vie reprennait son fil, les enfants étaient  à nouveau scolarisés et les cabannes de fortunes devinrent de jolies maisons confortables, la bonne humeur et le sentiment de sécurité retrouvaient enfin leurs places.

...
C'est dans une de ces familles que ma soeur et moi furent confiées durant quelques années, nos parents avaient eut la chance de la trouver sur leur route, ayant perdu tout espoir de trouver une mamie d'accueil pour notre garde. Je me souviens très bien de la première rencontre.

Une barre d'immeubles au Nord de Port-Vendres bordée de  figuiers de Barbarie et de Tamaris,. De nos petites jambes, il nous fallait emprunter un long escalier car à l'époque les ascenceurs n'étaient pas encore en service, ce matin là, toutes de propre vêtues, nous furent présentées à ce couple dont le mari était immense, les tempes grisonnantes et surtout un fort accent méditérannéèn, elle, une petite femme blonde à la peau laiteuse, de petites lèvres rouge carmin.

 Dans la pièce principale, trônait un immense canapé à fleurs orange et marron sur lequel étaient posés de superbes napperons crochettés, une aquarelle accrochée sur le mur central représentant la Côte Vermeille avec l'un de ses ports, de parts et d'autres de la grande baie vitrée deux vitrines où étaient exposés des coquillages de nacres de toutes sortes ainsi que de petites poupées mannequin dansant la sardanne.

Je n'ai que cette image dont la clarté est restée fidèle à mon souvenir, cette journée et puis le reste. On se levait très tôt, et on finissait la nuit dans ce canapé jusqu'à ce que l'heure d'aller à l'école arrive. La bonne dame avait une 4L blanche qui sentait la lavande, la pauvre n'étant pas toute jeune, il fallait  tirer le starter pour espérer que la guimbarde démarre enfin. On déposait ma jeune soeur à la maternelle, on attendait qu'elle veuille bien arrêter de pleurer, je ne peux oublier ses grands yeux bleus remplis de larmes, un déchirement quotidien, et moi, le coeur gros, à mon tour, on me laissait devant le grand portail de cette forteresse représentant l'enfer pour la jeune cancre que j'étais, -là, j'ai un goût amer dans la bouche, le même que ces matins là-.

Le temps de midi, c'était toujours un fête, la bonne cuisine aux saveurs aigres-douces, de savants menus nous étaient copieusement servis, mais ce que je n'aimais pas par dessus tout étaient ces fameuses "patates douces" généralement  proposées en guise de féculent, je me rappele encore du mastiquage de cette tubéreuse passant de gauche à droite dans ma bouche, mes parents m'ayant bien élevée, laborieusement et sans respirer, j'avalais la boullie en esquivant un large sourire pour montrer ma prouesse, quant à mon petit oiseau de cadette, elle prenait un malin plaisir à ce que je montre en étirant les commissures que je m'étais accomplie au grand bonheur de l'hôte.

Quelques temps plus tard, un nouveau venu vint combler notre cercle de garderie,

Pour ma part, un intrus, un garçon confié à son tour à notre gentille nounou. Très vite,il su nous voler la vedette, et prit une place de grand chef en nous montant l'une contre l'autre.Ce jeune blanc-bec filiforme haut comme trois pommes cultivait un incroyable talent de comédien, bien entendu, son meilleur rôle étant celui de l'enfant abandonné et lâché en pâture entre les mains de vilaines nénettes à tresses, pleurnichant à tout vent lorsqu'il nous accusait de l'avoir linché, ce qui était faux bien sûr, mais au fur et à mesure des semaines, nous avons apprivoisé la bête et il est devenu un allié de taille, la ligue des trois compères, trois petits anges, l'âge de l'insouciance aidant, les bêtises affluèrent dans ce havre de paix, où régnaient bibelots et trophées en tout genre, l'heure de la casse avait sonnée et celle de la correction aussi, je crois que même mon père ne m'a jamais autant fait peur que le jour où, entre deux bousculades volontaires, mon coude droit a heurté violemment un vase en jade rose, le vase de feu la grand-mère posé là en sa mémoire. A partir de ce jour, plus la moindre parole en dessus de la note du "do", la punition planait toujours, et les rares moments de détente étaient consacrés à des ateliers couture ou apprentissage du crochet, le mercredi après-midi, cours de pâtisserie et repassage, je pense avoir appris à plier une serviette avant de connaître ma table de 5.

Beaucoup de bons souvenirs me reviennent encore aujourd'hui, mélancoliquement je suppose que ces gens ne sont plus hélas, ils peuvent être fiers de nous et des valeurs qu'ils nous ont inculquées, je tenais à rendre hommage à leur dévouement ainsi qu'à l'amour qu'ils ont pu nous donner. Je pense ne pas être la seule à ressentir la même émotion...


A Mr et Mme VERA

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H
<br /> Les années ont passé et j'ai occupé une partie significative de mon temps à fouiller des archives poussiéreuses pour assembler les pièces d'un puzzle historique dont le point d'ancrage est<br /> Port-Vendres à une époque pas si lointaine que cela. J'avoue, j'avais oublié ton blog, je t'avais oubliée. C'est lors d'une rencontre samedi dernier avec un "ancien" dont je voulais recueillir la<br /> mémoire avant qu'elle ne se perde définitivement que je me suis souvenu que tu pouvais peut-être toi aussi m'aider dans ma quête de mémoires. Mais tu ne donnes plus de signes de vie, d'écriture,<br /> sur ce blog depuis longtemps et je n'ai pas (encore) trouvé comment te contacter autrement. Je garde l'espoir d'un signe encourageant de toi...<br />
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H
Mais si, en chips c'est tres different ! J'en ai trouve au Japon en novembre dernier. Ca faisait peut-etre 15 ans que je n'en avais pas mange.<br /> J'ai a peu pres un an et 2 mois de moins que toi. J'essaie de transmettre tout ce que je peux, c'est dans ma nature. Mais ma situation fait qu'a part en plongee (notamment dans les formations), j'ai rarement cette possibilite car rarement un public. Je ne donne plus de cours et la famille est tres loin, je la vois peu.<br /> J'aime la plongee de nuit. C'est l'occasion d'observer une faune cachee le jour. Et puis il y a cette sensation d'etre dans une sorte de cocon, car la seule lumiere est le court halo des lampes. Tout le reste autour n'est qu'une douce enveloppe calme et apaisante. <br /> Pas de plongee avant au moins 2 week-ends. Ca va etre dur...<br /> Bises
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P
<br /> Bon d'accord je vais en faire parce que c'est toi !<br /> bises<br /> <br /> <br />
H
P.S. J'ai oublie de te dire : ma manan faisait les patates douces en chips. C'etait tres croquant et legerement sucre :D
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P
<br /> Même pas en chips !!!<br /> <br /> <br /> <br />
H
Oui, surement beaucoup de chaleur. J'aurais aime avoir des enfants a qui transmettre cette sensibilite qui depasse les mots des histoires que l'on raconte. Je pense que mon neveu en profitera et j'espere que plus tard il aura un regard plein de sensibilite a l'egard de ces emotions.
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P
<br /> Je ne connais pas ton âge mais il n'est jamais trop tard pour transmettre des valeurs, et donner des conseils même si ce ne sont pas tes enfants, allez ! un petit coup de blues ? va faire une<br /> plongée, il y a un truc que je n'ai jamais fait c'est une plongée de nuit, il parrait que c'est magnifique selon les dires de mon père qui pratiquait celà jadis<br /> bises<br /> <br /> <br />
H
Tres touchant. Je pourrais raconter le meme genre de souvenir, mais dans une barre d'immeuble de cite du nord-est, chez mes grands-parents parachutes si loin de leur Méditerranée. Pas facile d'atterrir dans cette cite impersonnelle, de retrouver un emploi pour nourrir toute la famille, de supporter la defiance de la population locale. Mais la vie s'est organisee entre voisins, les parfums et les accents ont survecu et ont ete transmis, la generosite et la culture de ces grands-parents et de ces parents demeure chez les enfants, enfin je le pense. Je ne sais pas ce qu'est devenu l'autre enfant que gardait ma grand-mere. Avec mes parents, depuis tout petit, j'ai refait chaque anne le voyage jusqu'au bord de la Mediterranee, coté Languedoc et Roussillon. Si je devais avoir un chez-moi, il serait là...
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P
<br /> Je n'avais que huit ou neuf ans mais je n'arrive pas à oublier ce fameux accent, le verbe haut et la bonne cuisine du pays, je voudrais les serrer dans mes bras...<br /> merci,<br /> florence<br /> je met un lien<br /> <br /> <br />